Je remets cet article qui avait été mangé lors du changement de serveur.
Recueil Dalloz 2005 p. 2329
« Une loi qui prend l'eau »
Jean-Philippe Feldman, Professeur agrégé des facultés de droit, avocat à la Cour de Paris
Un article paru récemment dans un quotidien du soir retient l'attention (Le Monde, 2 août 2005, p.

. Il nous apprend que « les particuliers tardent à équiper leurs piscines des systèmes de sécurité exigés par la loi ». Il faut rappeler que la loi n° 2003-9 du 3 janvier 2003 a imposé que les piscines privées familiales fussent équipées d'un dispositif de sécurité normalisé avant le 1er janvier 2004. Les voeux du législateur étaient de pallier l'éventuel défaut de surveillance des parents. Or, nous apprenons que les prescriptions de la loi ne sont pas respectées. Nul ne saurait s'en étonner.
Reprenons depuis l'origine. Un sénateur bien attentionné s'émeut de l'intolérable : quelques enfants se noient chaque année dans des piscines privées. Comme les parents ne sont pas responsables et qu'on ne peut pas leur faire confiance, il propose que la loi supplée leurs coupables carences. Nous apprenons que, en 2004, 17 enfants de moins de cinq ans sont morts en se noyant dans une piscine privée et que 55 accidents sont survenus. Les résultats ont été à la hauteur des espérances : 41 % des noyades d'enfants de moins de six ans la même année se sont produits dans des piscines équipées de systèmes de protection !
Ainsi :
- les parlementaires n'ont pas hésité à ajouter au « harcèlement textuel » un texte d'affichage dont le principe avait été dénoncé par le Conseil d'Etat dès son rapport public de 1991. Ajoutons que le Conseil constitutionnel, ainsi que l'a déclaré son président le 3 janvier 2005 lors de l'échange de voeux avec le président de la République, entend censurer dorénavant les « neutrons législatifs », selon l'heureuse expression de Jean Foyer ;
- sous couvert de sentiments généreux et humanistes, ce texte est paradigmatique des effets délétères d'un marché politique qui a atteint en France son acmé. En effet, il ne pouvait que faire plaisir aux fabricants de piscines et à quelques associations ; il est indolore pour l'écrasante majorité des votants ; il ne pèse que sur une infime minorité, au surplus « nantie », et qui, selon le paradoxe olsonien, n'a pas forcément intérêt à s'unir au regard du coût individuel d'une telle action ;
- ce texte constitue une violation du droit de propriété, droit inviolable et sacré, et une atteinte inacceptable à la responsabilité individuelle, ce qui est un pléonasme, sous couvert d'infantilisation des parents ;
- ce texte est inapplicable.
Par mépris du droit, qu'il leur appartient pourtant de protéger, les parlementaires ont décidé d'inclure dans l'ordre juridique une législation destinée à rester lettre morte, d'autant plus qu'aucune modalité de contrôle n'a (heureusement) été prévue.
Dès lors de deux choses l'une. Soit la loi sera abrogée : le Parlement s'honorerait à reconnaître son erreur. Soit la loi sera modifiée par une couche normative supplémentaire, laquelle risque d'en appeler d'autres selon un mécanisme bien connu sur les terres de Descartes.
Rappelons pour finir cette anecdote confiée par un parlementaire. Lorsqu'il prit connaissance de la proposition de loi, il écrivit au sénateur « responsable » pour le féliciter vivement de son initiative, mais également pour le gourmander parce que sa proposition n'allait pas assez loin. En effet, il fit observer que la mer était aussi dangereuse, et même beaucoup plus, que les piscines privées et que, dès lors, il convenait de poser des fils barbelés sur l'ensemble des côtes françaises. L'histoire ne dit pas quelle fut la réaction du sénateur, mais on croit savoir qu'il a subsisté. Effectivement, il y a bien longtemps dans notre beau pays que le ridicule ne tue plus.